ENSEMBLES (SOCIOLOGIE DES GRANDS)

ENSEMBLES (SOCIOLOGIE DES GRANDS)
ENSEMBLES (SOCIOLOGIE DES GRANDS)

On définit habituellement un grand ensemble comme un groupe d’immeubles rassemblant au moins 1 000 logements, construits dans un délai de l’ordre de cinq ans, conçu selon un plan général comprenant des équipements collectifs. On pouvait évaluer le parc immobilier des grands ensembles français à environ 800 000 logements en 1982. Ce parc a été presque intégralement édifié entre 1956 et 1973.

Les facteurs qui ont provoqué le développement des grands ensembles sont la croissance de la population urbaine, le besoin de logements relativement peu coûteux, les insuffisances du parc immobilier. Le coût élevé ou la pénurie des sols favorise les fortes densités d’occupation, tandis que les industries de la construction sont plus à même de faire jouer leurs capacités techniques et d’abaisser leurs prix de revient lorsqu’elles entreprennent la construction de séries massives de logements en immeubles collectifs.

Il faut cependant indiquer que, si ces faits sont caractéristiques des pays fortement industrialisés, les grands ensembles ne sont qu’un type de réponse parmi d’autres aux problèmes posés par l’urbanisation rapide. Dans d’autres pays, les habitations individuelles ou les petits collectifs sont parfois plus développés que les immeubles de grande taille (Grande-Bretagne, États-Unis); au niveau de l’urbanisation, les villes nouvelles, différentes des grands ensembles par la recherche systématique de l’équilibre emploi-résidence, ou les suburbs nord-américains sont d’autres types de réponses. L’édification des grands ensembles n’est donc ni la voie royale ni la fatalité de l’architecture et de l’urbanisme contemporains, mais une solution parmi plusieurs. Cette solution implique au moins deux conditions qui s’ajoutent aux facteurs précédemment cités. La première, c’est qu’un choix ait été fait entre logement collectif et logement individuel, choix qui reflète pour une part les coûts de la construction, mais qui est soumis aussi à des options plus larges sur la nature de l’urbanisation et sur les effets sociaux attendus de tel ou tel type d’organisation architecturale. La seconde condition implique l’acceptation d’une complète dissociation géographique entre le lieu d’emploi et celui de résidence. Cette acceptation est un pari sur les conditions de la mobilité quotidienne, et donc sur l’organisation des transports. C’est le cas des opérations d’urbanisme réalisées dans le voisinage des grandes métropoles scandinaves, qui reposent moins sur l’équilibre entre l’emploi et la population résidente que sur l’aménagement des centres commerciaux et sur le réseau de transports. Mais cette acceptation peut traduire aussi un certain désarroi devant la croissance urbaine.

Qu’ils résultent ou non d’une politique concertée, les grands ensembles, en particulier en France, ont souvent symbolisé bien des méfaits. L’arrivée en masse d’habitants à peu près du même âge, dans un cadre architectural différent des modèles traditionnels, a créé un contexte écologique original, qui n’était pas toujours accordé aux genres de vie et aux modèles culturels des nouveaux venus. Actuellement, le vieillissement et la dégradation des immeubles, la cohabitation difficile d’habitants qui ont accédé au grand ensemble par des filières différentes, la paupérisation de la population des logements sociaux sont à l’origine d’une crise des grands ensembles. Ainsi, moins de dix ans après la fin de leur construction, la question de leur destruction partielle était déjà posée.

Dans la plupart des cas, on s’oriente vers une réhabilitation des quartiers les plus dégradés.

1. Les conditions d’implantation

Le contexte

Après 1950, il fut nécessaire dans de nombreux pays (France, Pays-Bas, Grande-Bretagne, Allemagne, U.R.S.S., etc.) de loger aux limites de l’agglomération un nombre croissant de citadins, dont les ressources étaient souvent limitées. Mais à la différence du siècle précédent, il est plus ou moins nettement reconnu qu’il existe un droit au logement, que les conditions de salubrité et de confort des habitations importent au bon fonctionnement de la collectivité et que l’État est un partenaire obligé dans cette affaire.

En France, le logement dans les banlieues avait rarement pris la forme d’immeubles collectifs avant 1939 (malgré quelques réalisations dans la région parisienne, comme la cité-jardin de Suresnes, en 1926, et la cité de la Butte-Rouge, à Chatenay-Malabry, en 1932), et le logement individuel y dominait. Après la guerre, et surtout à partir de 1955, on s’orienta vers la construction d’immeubles collectifs. D’abord parce qu’il y avait une grave pénurie de logements et que les appartements pouvaient être construits plus vite et à meilleur marché que les maisons individuelles; le développement des procédés de levage, les changements dans la préparation et l’utilisation du béton, l’apparition de quelques éléments préfabriqués incitaient au développement de gros chantiers. Ensuite parce que l’urbanisation «pavillonnaire» avait été vivement critiquée, qu’elle semblait coûteuse et peu favorable à l’implantation des équipements collectifs. En même temps, la concentration des agences d’architectes et la division du travail qui s’instaurait en leur sein favorisaient la mise en route de réalisations très importantes, fondées sur la répétition d’éléments simples et sur l’utilisation à des dizaines de milliers d’exemplaires de plans de logements mis au point une fois pour toutes. Enfin la crise du logement avait pris une telle ampleur dans les grandes villes que la construction d’habitations à leur périphérie n’intéressait plus seulement la clientèle du logement social, mais des groupes de la petite et moyenne bourgeoisie, à même de payer des loyers relativement élevés pour des logements convenables.

Les ensembles français

Différents types de constructeurs

Les promoteurs intéressés étaient de plusieurs types. Le premier correspondait au secteur du logement social, où les organismes constructeurs d’habitations à loyers modérés (H.L.M.) dominent. Les plus importants sont les offices publics, départementaux ou municipaux, qui couvrent presque toutes les grandes villes. Leurs réalisations dans les grands ensembles sont particulièrement importantes: elles représentaient en 1981 environ 600 000 logements. Certains ensembles comme celui de La Courneuve (4 000 logements) ont pour propriétaire unique un office public d’H.L.M. Ces appartements sont réservés, en principe, aux groupes à revenus modestes. Toujours dans le domaine du logement social, il existe, distincts des offices, une série d’organismes à but non lucratif qui ont souvent une forme coopérative. Leur principal objectif est l’accession à la propriété par un système de location-vente, mais les conditions sont différentes suivant que l’on considère les sociétés d’H.L.M., les coopératives diverses (Baticoop, Castors), les organismes qui utilisent les cotisations patronales (O.C.I.L., C.I.L.) ou les sociétés d’économie mixte.

Le deuxième type de constructeurs est représenté par un seul promoteur, la Société centrale immobilière de la Caisse des dépôts et consignations (S.C.I.C.). Particulièrement active dans la région parisienne, la S.C.I.C. construit principalement pour la location, mais aussi pour la vente par appartement. Elle s’adresse, en principe, à des catégories sociales plus aisées que celles qui bénéficient du logement social. La S.C.I.C. est intervenue dans vingt-trois grands ensembles.

Les sociétés à but lucratif constituent le troisième type des promoteurs de grands ensembles: entreprises généralement soutenues par des banques, parfois liées aux industries de la construction, elles se sont orientées vers la vente immédiate des appartements.

Le quatrième type de promoteurs est représenté par certaines entreprises industrielles de province désireuses de loger rapidement une main-d’œuvre en fort accroissement et qui ont fait édifier des ensembles.

Au total, environ 95 p. 100 des appartements des ensembles sont locatifs.

Liaisons avec l’extérieur

Il ressort clairement de la liste des constructeurs que les ensembles ont été conçus en fonction d’un seul objectif: le logement. À l’exception de quelques réalisations, aucun de ces promoteurs n’avait vocation à mettre sur pied des opérations d’urbanisme à grande échelle et à objectifs diversifiés. Les constructeurs n’avaient pas de moyens, ni de raisons, d’intervenir dans la localisation des emplois et dans l’organisation de réseaux de transports: l’«articulation» résidence-transports-emploi ne relève pas de la conception des ensembles mais des plans d’urbanisme. Il en résulte que la dissociation résidence-emploi est une règle quasi constante dans les grands ensembles et que l’implantation de ces derniers reflète pour l’essentiel les disponibilités en terrains. Il n’est pas possible d’examiner en détail la manière dont les grands promoteurs, publics ou privés, constituent leur portefeuille de réserves foncières. Il s’agit toujours d’opérations complexes – surtout pour des terrains qui dépassent souvent 100 hectares – menées sur de longues périodes et où interviennent tous les éléments d’une stratégie financière, réglementaire et politique. Les terrains éloignés du centre, d’autant moins coûteux qu’ils sont mal reliés au reste de l’agglomération, mais mobilisables pour une urbanisation rapide, en constituent l’élément essentiel.

La dispersion des terrains et l’absence d’intégration dans des schémas directeurs comprenant les transports et les emplois ont pour conséquences de placer au premier plan du mode de vie dans les ensembles la question des transports. Fréquemment, les transports publics se révèlent insuffisants, le réseau routier est engorgé, la desserte publique au-delà des heures de travail très mauvaise; il en résulte une pénalisation accrue pour les membres de la famille qui ne disposent pas d’un moyen de transport individuel. Une autre conséquence est que l’organisation des transports est un élément différenciateur important entre les ensembles, d’abord entre ceux de province et ceux de la région parisienne, ensuite à l’intérieur même des ensembles parisiens où la proximité du chemin de fer et des autoroutes valorise inégalement les situations.

L’organisation interne

L’organisation interne d’un grand ensemble dépend largement des objectifs qui ont été choisis par les constructeurs et de ceux qu’ont pu y ajouter les municipalités. Celles-ci ont pu négocier des modifications plus ou moins importantes au programme initial, aussi bien dans le domaine des logements que dans celui des équipements. Certains ensembles sont intégralement réalisés par un même promoteur, mais il est arrivé fréquemment que plusieurs promoteurs se soient associés pour la construction d’un ensemble: H.L.M. locatives et H.L.M. en accession à la propriété, S.C.I.C. et sociétés à but non lucratif... Ces associations répondaient à plusieurs objectifs: le premier peut être de diversifier la composition sociale des habitants de l’ensemble, un autre est d’équilibrer financièrement le programme. Outre qu’elle est décisive pour la composition sociale et la population du futur ensemble, l’élaboration du programme et de son financement revêt une très grande importance pour l’implantation des équipements et leur délai de réalisation. En effet, les normes de construction de logements sont rigoureusement fixées par l’État, et les variations possibles sont assez faibles. Il n’en est pas de même pour les équipements, où la réglementation est beaucoup moins précise et où les responsabilités sont partagées entre les municipalités et l’État pour l’essentiel, mais où le promoteur de logements apparaît peu.

Les ensembles hors de France

Les données

On a vu que la construction d’ensembles impliquait une forte croissance urbaine, l’absence de solutions du type des villes nouvelles, l’existence de promoteurs capables d’animer la construction de milliers de logements collectifs. Ces conditions ont été présentes dans tous les pays industrialisés et dans quelques pays non industrialisés, mais elles n’ont pas toujours eu comme conséquence un développement important des grands ensembles.

On doit compter avec trois séries de faits. Les premiers concernent les pays où les marges des grandes villes sont occupées majoritairement par des maisons individuelles. C’est le cas des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de certaines réalisations dans l’Europe du Nord (Albertslund, à quinze kilomètres de Copenhague, par exemple). On voit bien des quartiers qui ressemblent beaucoup à des grands ensembles à Londres (East End) ou même à New York (Fresh Meadows), mais ce sont des opérations de rénovation intra-urbaines. Une seconde série de faits tient à la politique des villes nouvelles, définie par l’association résidence-emploi. Réalisées systématiquement en Grande-Bretagne, en Pologne, en Hongrie et dans certaines régions des Pays-Bas et de l’U.R.S.S., elles se distinguent des ensembles par le fait que leur création et leur développement ont été coordonnés par un organisme centralisateur dont le rôle à l’échelle de la ville est de régler les questions de logement, d’emploi et de transports.

Les situations

Toutes ces raisons font qu’il n’est pratiquement de grands ensembles, ou leurs équivalents, que dans les pays où la croissance urbaine n’a pas été canalisée par un urbanisme concerté, mais où le logement est partiellement animé par des promoteurs puissants, en l’occurrence les pouvoirs publics. On a pu distinguer trois types de situations: les pays capitalistes où le secteur du logement social est important, des pays peu développés, certains pays socialistes. La France, l’Italie et, dans une certaine mesure l’Espagne, font partie du premier groupe. Aux limites de Rome, de Milan et de Madrid, s’édifient d’immenses quartiers conçus et construits par les organismes publics ou parapublics chargés du logement social. La disposition architecturale, la conception des équipements, la dissociation résidence-emploi y rappellent beaucoup les grands ensembles français, mais il s’agit plutôt des quartiers de la périphérie que d’ensembles détachés, parce que Rome et Madrid n’ont pratiquement pas de banlieue et que la ville s’ouvre directement sur la campagne. La ségrégation sociale et le surpeuplement y sont plus accusés qu’en France. On trouve l’amorce de cette situation dans des pays peu industrialisés où l’arrivée des campagnards dans les capitales et la faiblesse de la demande solvable en logements ont incité les pouvoirs publics à réaliser ou à favoriser d’importantes opérations de construction à la périphérie, comme à La Havane (en 1956, avant que le régime actuel ne modifie complètement l’orientation dans ce domaine), à Caracas ou à Buenos Aires. Conçus fréquemment comme une tentative pour réduire les tensions sociales, confiés parfois à des entrepreneurs plus soucieux de spéculations que de réalisations durables, dépourvus d’équipements collectifs, ces ensembles témoignent plus de l’urbanisation désordonnée et du niveau de vie misérable de leurs habitants que de solutions architecturales et urbanistiques intéressantes.

Dans les pays européens qui connaissaient le régime socialiste, le logement, l’emploi et les transports dépendaient pour l’essentiel de l’État et cette concentration favorisa l’urbanisme concerté comme le montrèrent les villes nouvelles polonaises, hongroises ou soviétiques. La croissance urbaine exceptionnellement forte dans des pays qui comptaient peu de temps auparavant plus de la moitié de leur population active dans l’agriculture ainsi que le partage des responsabilités, au niveau de l’État, entre des ministères qui coordonnaient mal leurs opérations et ajustaient rarement leurs calendriers, furent deux obstacles sérieux. Il en résulta que si, théoriquement, des emplois étaient toujours associés aux logements, cela ne fut pas toujours le cas dans la pratique, notamment au voisinage des très grandes villes où les besoins en logements furent particulièrement importants (banlieue de Moscou, nouveaux quartiers de Kiev sur la rive gauche du Dniepr, banlieues de Budapest, de Belgrade, etc.). La répétition de plans de petites unités et de quartiers, l’utilisation généralisée d’éléments préfabriqués donnèrent à ces ensembles une physionomie comparable à celle de beaucoup d’ensembles français. L’application stricte d’un programme d’équipements prioritaires interdisait cependant toute comparaison rigoureuse; d’autre part, les espaces libres – espaces verts ou espaces de jeux – étaient beaucoup plus importants. La rareté des moyens de transports individuels imposa la mise en place immédiate de transports collectifs dont il était difficile d’apprécier l’efficacité. On ne disposait pas toujours d’études systématiques sur ces unités de logement, dont on savait seulement qu’elles abritaient surtout des nouveaux venus, mais aussi d’importants contingents de citadins venus du centre de la ville et à qui l’accès à un appartement neuf permettait souvent de mettre fin à la cohabitation.

2. Écologie des grands ensembles français

Décor, logements, équipements

L’architecture des grands ensembles est en général très monotone: alternance de barres et de tours. Il y a quelques exceptions, soit parce que l’architecte a essayé de rompre la monotonie des formes (immeubles courbes des Courtillières à Pantin ou de la Grande Borne à Grigny), soit parce qu’il a conservé les caractéristiques du site (parc du chateau de Sucy-en-Brie).

L’équipement des logements est très proche de celui des logements urbains construits après 1949: tous ont une salle d’eau, 90 p. 100 disposent du chauffage central, 80 p. 100 d’un vide-ordures. Cependant, pour les immeubles construits dans les années soixante, l’insonorisation des appartements est généralement mal assurée et les habitants ne disposent pratiquement pas d’espaces de renvoi. D’une façon générale, les caves et les parkings sont souvent éloignés et peu sûrs. Les équipements collectifs sont inégalement répartis suivant les ensembles. Le souséquipement est fréquent et représente pour les habitants une difficulté constante.

Dans la description des équipements, il faut mettre à part les ensembles en copropriété, soit que les copropriétaires s’entendent pour les doter d’un certain nombre d’équipements destinés plus spécialement aux jeunes, soit que le promoteur les ait équipés d’éléments annonçant «un nouvel art de vivre», mais qui sont naturellement à la charge des copropriétaires (piscines, club hippique et centre culturel de Parly II-Le Chesnay).

La population

Il n’existe pas actuellement de données nationales sur la population des grands ensembles. On sait cependant que c’est une population qui en 1964 comptait 44 p. 100 d’ouvriers, 18 p. 100 de cadres moyens, 14 p. 100 d’employés, 7 p. 100 de cadres supérieurs et de membres des professions libérales, 10 p. 100 relevant d’autres catégories d’actifs. En ce qui concerne la part de la population logée dans des logements H.L.M. (environ 75 p. 100 du parc des grands ensembles), on observe depuis les années soixante-dix une paupérisation des habitants, une augmentation des familles immigrées et un plus grand nombre d’inactifs. Progressivement, les catégories les plus aisées sont parties vers d’autres logements, en particulier vers la maison individuelle. Les logements libérés ont été reloués à des familles immigrées, à des ménages issus de l’habitat insalubre.

En l’absence de données nationales, on peut donner quelques exemples. En 1982, Z.U.P. du Val-Fourré, à Mantes-la-Jolie: 8 000 logements habités par 22 100 habitants; âge moyen: trente-sept ans; 42 p. 100 de la population a moins de seize ans; 600 familles comprennent plus de six personnes; 70 p. 100 de la population est ouvrière et 46 p. 100 est étrangère. Z.U.P. de Grande-Synthe, à Dunkerque: 6 200 logements, 75 p. 100 d’ouvriers, 33 p. 100 d’immigrés.

D’une manière générale, le pourcentage de ménages jeunes reste plus élevé que la moyenne nationale et celui des ménages âgés progresse.

3. La vie dans les grands ensembles

Dans ce cadre de vie, comment réagissent les habitants? On sait que la majorité des Français désirent un logement individuel et souhaitent que l’on construise pour l’accession à la propriété et non pour la location.

Le logement tel qu’il est conçu dans la plupart des grands ensembles (exception faite peut-être de quelques ensembles destinés à la copropriété) est sans doute un cadre trop rigide et peu adapté à certains besoins de l’habitant: marquer l’espace, se l’approprier, l’organiser par référence à certains modèles culturels comme l’intimité (opposition public-privé, ritualisation des relations sociales), les rôles masculins et féminins... Peut-être faut-il ajouter à cela l’image très négative du grand ensemble dans la population en général. Que lui reproche-t-on? Son aspect de «caserne», de «cage à lapins», l’entassement d’une population «mélangée». Les grands ensembles seraient à l’origine d’un taux élevé de délinquance juvénile, et, dès le début de leur construction, on a parlé d’un certain type de dépression chez les femmes, appelé «mal des grands ensembles».

Bien que l’on ait pu montrer que l’arrivée dans les grands ensembles ne semblait pas affecter le travail de la femme, il reste que l’éloignement du lieu de travail, comme pour tous les habitants des banlieues, accroît le surmenage. Si, au sens clinique, il n’existe pas de maladie spécifique des grands ensembles, des névroses liées à certaines conditions de vie s’y développent. Les états dépressifs réactionnels à forme anxieuse sont fréquents, ainsi que les maladies psychosomatiques. L’excentricité du grand ensemble, l’éloignement du lieu de travail qui empêche le mari de rentrer pour le déjeuner, la vie plus collective des enfants provoquent une dévalorisation des tâches ménagères. Pour les femmes qui restent à la maison, les occupations quotidiennes, dépourvues de valeur affective, deviennent aliénantes; il en résulte l’ennui, une impression de solitude et d’isolement. La destructuration de la vie familiale transforme l’appartement en un cadre matériel sans signification. Quant à la délinquance juvénile, il est certain que les grands ensembles, du fait de leur composition démographique bien particulière et de l’absence d’équipements appropriés, permettent plus facilement un regroupement des jeunes et la constitution de bandes d’adolescents.

On s’est aperçu après coup que les conditions mêmes du peuplement des ensembles étaient à l’origine de fortes tensions sociales. Les différentes filières par lesquelles on accède au logement dans un ensemble aboutissent en effet à la mise en place d’une population socialement hétérogène. Ainsi, les offices H.L.M. et leurs différentes parties prenantes drainent des catégories sociales différentes, à l’intérieur même du secteur social: les caisses d’allocations familiales attribuent de préférence des logements à des familles qui représentent le plus souvent des cas sociaux, alors que, dans le cadre du 1 p. 100 patronal, les entreprises attribuent des logements à des ouvriers qualifiés et à des employés qui ont une grande stabilité dans l’entreprise. La S.C.I.C., quant à elle, dispose d’une clientèle où les employés et les cadres sont bien représentés.

De plus, les habitants se situent à des moments différents de leur trajectoire résidentielle. Pour les plus défavorisés, l’arrivée dans un grand ensemble représente la fin de leur trajectoire; ils sont plus âgés et ont souvent davantage d’enfants. Les ouvriers qualifiés et les cadres moyens sont au contraire plus jeunes, et leur résidence dans un grand ensemble ne représente qu’une étape. À ces différences sociales s’ajoutent des différences culturelles par la présence d’une population d’immigrés qui, bien que sousreprésentée dans les grands ensembles, a progressivement beaucoup augmenté dans un certain nombre d’ensembles.

La proximité spatiale de groupes sociaux hétérogènes, dont les modes de vie et les mœurs sont différents, crée un climat de tension qui a tendance à se cristalliser sur les jeunes, et plus particulièrement sur leur éducation.

Après le départ progressif des catégories sociales les plus aisées, se sont créées, dans un grand nombre d’ensembles, des zones d’habitat dévalorisées, occupées majoritairement par des ménages qui n’ont pas les moyens d’aller ailleurs. Ce processus ainsi que le vieillissement rapide des matériaux de construction font que de nombreux appartements sont aujourd’hui inoccupés.

4. Perspectives

Certains grands ensembles, comme Sarcelles, se sont développés jusqu’à devenir des villes, en particulier par leur intégration dans un ensemble plus large comprenant des zones d’activités et des quartiers traditionnels. Cette évolution reste cependant exceptionnelle et, dans la plupart des cas, on assiste dès le début des années soixante-dix à une dégradation d’un grand nombre d’ensembles.

En 1977 est créé un groupe interministériel, «Habitat et Vie sociale» (H.V.S.), dont le but est l’amélioration des grands ensembles sociaux, et qui est chargé de coordonner les actions et les financements dans le cadre d’un programme prioritaire du VIIe plan. En 1980, ce groupe est intégré dans le Fonds d’aménagement urbain qui, tout en conservant les objectifs d’Habitat et Vie sociale, met l’accent sur la déconcentration de l’instruction et du financement des opérations.

Au 1er juillet 1981, quarante-deux opérations H.V.S. avaient été lancées, concernant environ 64 600 logements. Ces actions ont surtout été concentrées sur l’amélioration du confort intérieur. Dans les opérations récentes, le traitement des espaces extérieurs aux logements fait l’objet d’actions importantes, mais, d’une manière générale, la création d’équipements publics ou privés, l’implantation de lieux de production générateurs d’emplois sur place, le désenclavement des ensembles restent très limités.

En 1982, une commission nationale pour le développement des quartiers fut créée. Cette commission, qui réunissait l’ensemble des partenaires sociaux, devait mettre en place une nouvelle procédure d’intervention plus déconcentrée au niveau régional ou départemental. Elle avait pour objectif d’agir sur les causes de la dégradation physique et sociale de certains quartiers d’habitats sociaux particulièrement dégradés, dont une part importante se trouvait située dans des grands ensembles. L’action portait non seulement sur l’amélioration des logements, la réfection des parties communes, mais aussi sur la création d’équipements diversifiés en matière de santé, d’action sociale, de culture. Des missions locales d’insertion sociale et professionnelle des jeunes, des zones d’éducation prioritaires furent mises en place. Des actions visant la gestion des quartiers étaient également menées, de façon à permettre, entre autres résultats, une meilleure participation des habitants.

Encyclopédie Universelle. 2012.

Игры ⚽ Нужно решить контрольную?

Regardez d'autres dictionnaires:

  • COMMUNAUTÉS (SOCIOLOGIE DES) — Les études de communautés visent à expliciter comment les groupes humains (quartier, village, association) résolvent les problèmes auxquels ils sont confrontés, compte tenu du lieu et de l’époque à laquelle ils vivent. L’analyse de quelques… …   Encyclopédie Universelle

  • SOCIOLOGIE DE L’ART — En dépit d’un petit nombre d’essais, plus ou moins valables, d’histoire sociale de l’art, la sociologie de l’art reste à constituer: mis à part les quelques travaux qui en sont l’annonce (au premier rang desquels ceux de Pierre Francastel), les… …   Encyclopédie Universelle

  • Sociologie urbaine — La sociologie urbaine est une branche de la sociologie qui tend à comprendre les rapports d interaction et de transformation qui existent entre les formes d organisation de la société et les formes d aménagement des villes[1]. L étude de la… …   Wikipédia en Français

  • Sociologie — La sociologie peut être définie comme la branche des sciences humaines qui cherche à comprendre et à expliquer l impact du social sur les représentations (façons de penser) et comportements (façons d agir) humains. Ses objets de recherche sont… …   Wikipédia en Français

  • Sociologie de la musique — La sociologie de la musique est une branche de la sociologie qui interroge le fait sociologique dans son rapport avec la création musicale. A contrario, elle s intéresse aux décalages possibles entre la réception d’un art très souvent fondé sur… …   Wikipédia en Français

  • Crise des banlieues — Violences urbaines Les violences urbaines sont des troubles à l ordre public relativement graves qui voient la violence s exprimer dans une ou plusieurs villes d un ou plusieurs pays. Sommaire 1 Tentative de définition 2 La ville comme lieu d… …   Wikipédia en Français

  • Situation sociale des banlieues françaises — Violences urbaines Les violences urbaines sont des troubles à l ordre public relativement graves qui voient la violence s exprimer dans une ou plusieurs villes d un ou plusieurs pays. Sommaire 1 Tentative de définition 2 La ville comme lieu d… …   Wikipédia en Français

  • Wikipédia:Liste des listes — Cette liste des listes rassemble des liens vers des pages qui consistent en une liste ou qui comportent une liste. Sommaire 1 Chronologies 2 Sciences exactes et naturelles 2.1 Astronomie 2.2 …   Wikipédia en Français

  • Histoire Des Mathématiques — Article de la série Histoire des sciences Chronologie Chronologie des sciences Chronologie de l astronomie …   Wikipédia en Français

  • Histoire des mathematiques — Histoire des mathématiques Article de la série Histoire des sciences Chronologie Chronologie des sciences Chronologie de l astronomie …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”